J’AI SOUFFERT DE TOC 

Je veux vous ouvrir mon cœur et vous dévoiler cette vallée profonde qui, pour moi, a commencé il y a plus de 30 ans… Je vous expliquerai ensuite pourquoi je tiens à développer longuement ce récit de mon combat avec les Troubles Obsessionnels Compulsifs.

Les TOC touchent 2 à 3 % de la population mondiale. Seules les personnes concernées et leur entourage peuvent réellement mesurer la place considérable qu’ils prennent dans le quotidien et les situations oppressantes, déstabilisantes, terrifiantes et paralysantes qu’ils génèrent. Je fais partie de ces personnes atteintes. Trente ans, c’est long. Trente ans de souffrances psychiques et de combat constant. Les TOC ne prennent jamais de congé. Ils ne vous octroient jamais de jour de repos. Ils vous tiennent captif chaque jour de l’année. Ils ne vous accordent aucun répit. Ils vous accompagnent quel que soit l’endroit où vous vous rendez.

Les Troubles Obsessionnels Compulsifs sont trop peu mentionnés dans les médias et quasiment jamais dans nos églises.

La définition du TOC que donne le médecin français Christophe André est la suivante : « Maladie anxieuse assez sévère. Le patient souffre d’idées fixes, qui deviennent envahissantes, angoissantes et tyranniques. Le mode opératoire de ces troubles est toujours le même : une idée intrusive surgit (ai-je bien éteint la lumière ?) qui déclenche une très forte angoisse. Il devient impératif d’aller vérifier. Et à chaque fois que cette interrogation obsédante ressurgit, le malade va se rassurer avec ce rituel de vérification. Mais ce mécanisme va rapidement tourner à l’obsession, les gestes rituels ne parviendront dès lors à baisser le niveau d’angoisse que de courts instants seulement. »

Mes tous premiers souvenirs de TOC (bien avant que je ne sache que ces troubles portaient un nom) remontent au début de mon adolescence. Jusqu’à l’âge de 14 ans, j’ai vécu une enfance normale. Mon frère, élevé dans le même environnement d’amour et de sécurité, n’a jamais souffert de ces troubles. Nous habitions dans un petit appartement paisible, à Clermont-Ferrand, dans le centre de la France. Les TOC se sont immiscés insidieusement dans mon quotidien, mais un incident m’a marqué plus spécialement.

Un jour, alors que je sortais seul de la maison, j’ai vérifié que j’avais bien refermé la porte à clé comme d’habitude. C’était le cas. Mais doutant, j’ai vérifié une seconde, une troisième, une énième fois… jusqu’à ce que la poignée se casse.

Ce jour-là, ce n’est pas seulement une poignée de porte qui s’est cassée ! Ce jour-là, c’est comme si, au fond de moi, un barrage venait de se fissurer, ouvrant la voie à des torrents d’eau qui ont bien failli m’emporter.

Au fil des ans, j’ai cru parfois couler tant la force de ces Troubles Obsessionnels Compulsifs me faisait perdre pied. Sans Jésus, il y a bien longtemps que j’aurais été balayé par les flots.

Les TOC ont imprégné toute ma vie. On pensait au début que ce ne serait qu’un problème passager qui s’estomperait avec l’adolescence. Cependant, le problème est resté et n’a fait qu’empirer.

Je me suis mis à tout vérifier : les portes étaient-elles bien fermées ? La lumière est-elle bien éteinte ? Le frein à main de ma voiture est-il bien serré ? Une liste sans fin de craintes irrationnelles…

Ceux qui souffrent de TOC savent pertinemment au fond d’eux-mêmes qu’il est inutile de s’inquiéter à ce point. On ne peut pourtant se défaire de telles angoisses que difficilement. Nous dire qu’il est insensé de s’inquiéter de la sorte ne change absolument rien : la frustration n’en est souvent que plus intense.

Pendant des années, je me suis senti comme « responsable » de tout ce qui, à mes yeux, n’était pas bien à sa place. Qu’il s’agisse d’un simple morceau de journal porté par le vent aperçu sur la pelouse d’un jardin public, ou d’une veste qui n’est pas bien suspendue à un portemanteau. Ou d’un oiseau en cage que l’on voudrait voir libéré.

C’est comme si je pouvais voir ce que les autres ne voient pas. Ayant cette perception singulière, je me sens responsable d’intervenir sans pouvoir m’en empêcher.

Jeune pasteur, je rendais souvent visite aux membres de l’église. M’asseoir à table et manger avec eux provoquait de très fortes anxiétés en moi. Je voyais tant de choses dans leur maison à remettre en place, au « bon endroit », en ordre. Le simple fait de me concentrer sur une conversation devenait alors extrêmement difficile.

Très peu de monde dans mon entourage avait connaissance de ce que je vivais: uniquement ma famille et quelques amis proches. Mes parents et mon frère souffraient autant que moi de me voir tourmenté par les TOC. Ils étaient terriblement frustrés de ne pas savoir comment vraiment me venir en aide. Mon père et ma mère ont prié. Des mois, des années. Sans relâche. Ils ont jeûné, ils ont crié à Dieu en faveur de leur fils prisonnier de cette spirale sans fin.

La nature des Troubles Obsessionnels Compulsifs dont j’ai été l’objet a varié au fil du temps. La douleur, elle, est restée constante.

Prenez l’exemple d’un livre sur une étagère qui, à mes yeux, est trop près du bord. Je suis assailli immédiatement par une crainte : et si ce livre tombait ? La souffrance que je ressens alors est aussi intense que si j’apercevais un enfant sur un pont, si proche du bord qu’il pourrait à tout moment basculer dans le vide. Voilà l’intensité émotionnelle que peut provoquer un TOC. Comment peut-on paniquer pour un livre sans importance comme s’il s’agissait d’un enfant en danger ? C’est bien toute la complexité et le mystère des TOC.

Les TOC fonctionnent comme un disque rayé. L’aiguille se bloque sur une pensée et cette pensée ne cesse de tourner en boucle. Ceux qui ne souffrent pas de ces troubles passent tout naturellement à la pensée suivante. Ce n’est pas le cas de ceux qui en souffrent.

Mes déplacements à l’étranger ont souvent été très éprouvants. Les TOC m’ont toujours accompagné dans le voyage. Ils n’ont besoin ni d’invitation, ni d’un visa pour entrer dans un pays. Je pouvais me trouver à l’autre bout du monde, au Brésil ou en Nouvelle-Zélande à un rassemblement de jeunes. Cependant, j’avais beau être perché sur mon estrade et parler avec tout mon cœur à ces jeunes, mes pensées étaient focalisées à des kilomètres d’ici. Elles étaient chez moi au Cambodge, car je ressentais une peur panique à l’idée d’avoir éventuellement laissé un robinet mal fermé ou pour mes plantes que les voisins avaient peut-être oublié d’arroser.

De retour au Cambodge, les TOC ne se calmaient pas pour autant. Ils partaient dans le sens inverse et je m’inquiétais alors de cette fenêtre chez mes amis en Nouvelle-Zélande que je n’avais peut-être pas bien fermée ou pour cette prise électrique dans la chambre d’hôtel au Brésil que j’aurais dû probablement débrancher avant mon départ…

Ma souffrance est telle que mon unique moyen pour trouver la paix est d’envoyer un courriel ou d’appeler mes amis, à l’autre bout du monde, pour effectuer la vérification. Combien de courriers de ce genre n’ai-je pas écrits au cours des années !

Les TOC ne vous accordent jamais de repos, pas le moindre répit. Ils sont là le matin au lever. La « machine » ne s’arrête jamais. Comme leur nom l’indique et l’implique, le tourment généré devient une forte obsession.

Au cours de ces trente années de combat, je n’ai connu que très peu de jours sans eux.

Je repense parfois à ces journées marquées d’une croix noire sur mon calendrier, où le niveau de souffrance a grimpé très haut. Si 10 est le palier maximum sur l’échelle de la souffrance, j’ai connu des périodes où je suis monté jusqu’à 9.

Je pense en particulier à un événement. Je me trouvais à l’aéroport de Bangkok, attendant un vol pour la Birmanie. La torture mentale que provoque un TOC quand il se manifeste est insupportable. Ce jour-là, j’arpentais le terminal de l’aéroport comme un fou, de long en large. J’avais du mal à avoir une pensée claire. Je sentais que je devais absolument contacter quelqu’un avec qui je pourrais prier. Je m’approche alors d’une jeune femme assise à même le sol avec son ordinateur portable, dans l’intention de lui demander si elle connaît le mot de passe de connexion wifi.

Tournant son regard vers moi, elle me demande : « Vous ne seriez pas Timothée Paton ? Vous ne vous souvenez probablement pas de moi. Vous êtes venu il y a quelques années parler de la mission à notre groupe de jeunes. Comment allez – vous ? »

Je la fixe du regard puis je réponds : « En toute honnêteté, je ne vais pas bien. Pas bien du tout. J’ai vraiment besoin de l’aide de Dieu. » 

« Eh bien je vais prier pour vous alors, tout de suite. »dit-elle.

Son heure d’embarquement était déjà dépassée. Cela ne l’empêcha pas de me prendre la main, pour demander au Seigneur de me toucher. Puis elle a disparu. Je ne l’ai plus jamais revue.

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Au moment où je me trouvais au plus bas, Dieu, dans sa grâce, m’a fait rencontrer, au beau milieu d’un aéroport, l’un de ses enfants. Sur ce long chemin de souffrance, le Seigneur a toujours permis que je rencontre des frères et sœurs formidables. Ils ont su prier pour moi et m’encourager quand j’en avais le plus besoin. Si vous êtes l’un d’eux, laissez-moi à nouveau vous dire combien je vous suis reconnaissant. Merci d’avoir été là au bon moment !

Au cours de ces trente années dans la vallée, j’ai eu l’occasion de me rendre à l’étranger, (dont deux fois aux États-Unis) pour rencontrer des professionnels chrétiens et séculiers, spécialistes des TOC. Ils m’ont initié à toutes les techniques, de la méthode EMDR à celle de Sozo en passant par celle de la thérapie cognitive ou théophostique…

Si, comme moi, vous souffrez de TOC, vous avez probablement compris que plus vous les nourrissez, plus ils ont faim. Ils ne sont jamais rassasiés. Chaque fois que vous cédez à une peur, l’emprise des TOC devient encore plus forte.

Aujourd’hui, en 2020, qu’en est-il pour moi, à l’âge de 47 ans ? Dieu soit béni, je vais mieux.

J’ai connu à la fois des percées significatives mais aussi des moments où j’ai fait marche arrière. Je dois pourtant dire que dans l’ensemble, il y a eu, ces dernières années, davantage de progrès. Oui, cette vallée de larmes a souvent été transformée en un lieu plein de sources.

La première s’est produite il y a plus de dix ans. Je faisais alors partie de la direction de la mission WEC au Cambodge. Lors d’une de nos réunions de travail, je me suis tourné vers les cinq autres membres de l’équipe et leur ai ouvert mon cœur. En leur révélant mon combat contre les TOC, j’ai ressenti un grand soulagement.

Mais la plus importante percée s’est produite au printemps 2018. J’avais quelques jours de congé et j’ai écrit mon témoignage, celui que vous lisez en ce moment. J’ai mis à la lumière ce que, depuis 30 ans, je gardais caché. Accoucher de ce témoignage n’a pas été un exercice facile. Puis je l’ai envoyé à toutes les personnes répertoriées dans mon carnet d’adresses. Je n’aurais jamais imaginé la libération qui s’ensuivit.

Le Psalmiste assurait dans le psaume 32, verset 3 : « Tant que je me taisais, mon corps dépérissait. Je gémissais toute la journée. »

Quand vous osez parler aux autres de vos combats et de vos souffrances, vous empruntez alors la voie de la restauration. De plus, ceux qui vous écoutent sont encouragés à leur tour à s’ouvrir. C’est ce que j’appelle « l’effet domino de la confession ».

À chaque fois que je parle en public de mon parcours, je vois dans l’auditoire des visages qui s’éclairent. Des regards qui reprennent espoir. Comme si leurs yeux disaient : « Merci Timothée de parler d’un sujet qui n’est jamais mentionné dans l’Église. »

Un jour, alors que je prêchais dans l’est de la France, une dame m’a laissé cet encouragement à la sortie d’un culte où j’avais parlé de mon combat avec les TOC : « S’il vous plaît, ne vous taisez pas ! »

J’aimerais pouvoir dire que les TOC ne me troublent plus. À l’heure actuelle j’en souffre toujours, mais plus autant qu’auparavant. Dans la vallée de la souffrance, j’ai pris le chemin de la guérison. 

Une percée significative s’est produite en France lors d’une visite chez mes parents. J’ai lu un verset en anglais, scotché sur le mur de la salle de bain :

« For God has not given us a spirit of fear, but of power and of love and of a sound mind. [Car Dieu ne nous a pas donné un esprit de timidité mais de force, d’amour et de sagesse.] » (2e épître à Timothée, chapitre 1, verset 7)

L’expression anglaise « sound mind » évoque une pensée apaisée, un esprit en bonne santé. Ces deux mots m’ont sauté aux yeux, touchant le plus profond de mon être. C’est justement quand notre véhicule intérieur quitte sa trajectoire que notre esprit n’est plus apaisé.

Mes parents m’ont écrit un jour: « We love you with all our hearts and if love could have delivered you over these 30 years then you would have been free long ago. [Nous t’aimons de tout notre cœur et si l’amour avait pu te délivrer au cours de ces trente années, alors tu aurais été libéré il y a bien longtemps.] »

J’ai donc décidé de partager longuement mon témoignage. Je l’ai fait pour plusieurs raisons :

– Tout d’abord pour vous encourager, si vous souffrez vous aussi, à trouver un ami, une amie de confiance et à lui ouvrir votre cœur. À deux, nous sommes plus forts. Le diable désire que vous gardiez ces maux qui vous rongent bien enfouis, tout au fond de vous-même. Chacun d’entre nous souffre d’une manière ou d’une autre. Personne n’est épargné. Nous avons tous nos combats, ou encore nos tentations. La volonté de Dieu, c’est de nous voir sortir de nos peurs et de vivre dans sa Grâce inconditionnelle. On me demande parfois quelles sont les clés pour rester dans la course. L’une des clés est d’avoir un ou une partenaire de prière avec lequel/laquelle vous vous retrouvez une fois par semaine, par exemple, pour prier pendant une heure. Je suis reconnaissant pour ces frères et sœurs avec lesquels j’ai eu le privilège de prier au cours des années. N’attendez pas d’être dans le « trou » pour prier. Que vous soyez dans la vallée ou sur la montagne, prenez le temps de vous retrouver. Le danger, comme à chaque rencontre de prière, est de beaucoup parler et chanter avant de finir la réunion, rapidement, par une prière. Parlez peu. Priez beaucoup !

– Une autre raison qui m’a poussé à partager mon témoignage est de rappeler à chacun que celles et ceux qui sont engagés à plein temps dans le service de Dieu ne sont pas épargnés et souffrent autant que les autres. Par mon histoire, j’ai voulu lever un masque. Derrière un sourire, peuvent aussi se révéler des souffrances et des moments de profond découragement.

– Enfin, j’ai ouvert mon cœur pour mettre en lumière le supplice qui affecte des millions de personnes. Les TOC ne touchent pas qu’une seule catégorie d’individus. Ils s’infiltrent partout : on peut les retrouver dans les tours d’ivoire de politiciens ou dans les camps de réfugiés. Plus que jamais, l’Église a besoin de se lever et de parler au nom de ceux qui luttent chaque jour en silence. Parce que celle ou celui qui souffre peut être un voisin, un collègue, un frère, une sœur, un neveu…

Quand je considère mon expérience, je suis conscient que les TOC auraient pu me maintenir enfermé dans une prison intérieure et m’empêcher de m’engager dans le service de Dieu. Ma souffrance aurait pu facilement devenir ma meilleure excuse pour ne pas partir à l’autre bout du monde.

Mais j’ai pris un jour une décision : celle de faire confiance à Dieu malgré les défis quotidiens. J’ai choisi de continuer à avancer, même dans la vallée.

Timothée – 2020 

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